Patrick Boutigny
Pour préparer les Etats Généraux : les réunions en régions
Les réunions en régions, décidées par le conseil d’administration de THEMAA avaient un double objet :
– confrontation avec les résultats de l’enquête nationale,
– confrontation avec l’état des lieux et les premières propositions des groupes de travail des Saisons de la Marionnette.
La vingtaine de réunions régionales que nous avons organisées n’avaient pas vocation d’unanimisme pouvant à peine cacher les reproches et insatisfactions larvés des uns et des autres. Nous avions tous à gagner d’un véritable échange et même si ces réunions étaient préparatoires aux Etats Généraux, il ne pouvait en ressortir des cahiers de doléances.
Il fallait que chacun s’exprime, non pour la forme mais de plein droit, afin de créer une réflexion assumant ses contradictions, et s’en faisant une force plutôt qu’en en sortant fragilisé. Car il existe dans notre profession une multitude de sensibilités différentes, qu’il convient certes de réunir, mais sur la base de dialogues équitables.
Ces réunions en régions ont enfin permis des rencontres entre les marionnettistes, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps : se retrouver ou plus simplement faire connaissance.
De ces rencontres sont nés des projets de laboratoires, de chantiers, de transmission, d’expérimentation, « même si on sait qu’il est difficile de travailler ensemble, parce que l’on fait un métier d’égoïste », comme le dit Pascal Vergnault.
De ces réunions sont sortis des rapports, des écrits, des comptes-rendus, une sorte de grand fatras de paroles que j’ai tenté de mettre en forme, en retenant plutôt tout ce qui pouvait être de l’ordre, non d’un consensus mou, mais plutôt d’un « dissensus positif ».
D’où souvent dans les propos qui ne sont pas les miens, des évidences, des contradictions assurées, mais aussi des problématiques relevant de réelles inquiétudes de la profession.
- La question de l’artistique
J’ai moi-même écrit dans le Hors Série de MANIP sur l’Enquête Nationale qu’« une première lecture des chiffres nous faisait dire : « on ne prête qu’aux riches ». On sait que la vraie richesse, celle qui compte, est la richesse de l’artistique ».
Cette richesse-là est d’autant plus importante que les arts de la marionnette ont un sens particulier dans la mémoire collective des spectateurs. A travers des souvenirs, des anecdotes, la marionnette interpelle toujours un souvenir, et ce, chez n’importe quel spectateur.
C’est en ce sens aussi que la marionnette est un art populaire.
Mais si l’on parle d’art populaire, comment faire pour ne pas à avoir à traîner encore entre guillemets le mot marionnette et l’affirmer haut et clair ?
Et si, comme le disait Alain Blanchard, « le bicentenaire de Guignol révélait peut-être 200 ans de malentendus ? »
Il y a donc encore une fracture esthétique entre ce que représente la marionnette dans la mémoire collective – et encore dans l’esprit de certains programmateurs – et une génération de créateurs travaillant avec des esthétiques contemporaines sur la base d’un art protéiforme.
Qu’est-ce donc qu’un marionnettiste ?
Seul peut répondre le praticien et la question de l’identité marionnettique relève de chaque artiste.
Seul le marionnettiste sait pourquoi il est marionnettiste :
Marionnettiste car metteur en scène sans le sou : la marionnette remplace sans bourse délier le jeu des acteurs.
Marionnettiste car seul moyen d’exprimer son rapport à la vie.
Marionnettiste parce que c’est sa nécessité.
Marionnettiste car la marionnette, c’est le seul théâtre de la distanciation.
Marionnettiste pour comprendre ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas avec l’objet manipulable.
Pourquoi est-ce que je fais ce métier ?
Peut-être parce que je n’ai jamais su rien faire d’autre…
Si l’on ne s’interroge pas sur l’intérêt profond que l’on a vis-à-vis de son travail, on est l’artisan de son propre malheur.
Du coup, faisons-nous tous le même métier ?
Au-delà de l’artiste marionnettique, il y a le constructeur, le fabriquant, l’artisan, le technicien.
Quelles techniques a-t-il à sa disposition ? Une technique qu’il maîtrise et qui va se mettre au service d’un propos artistique à développer ? Ou est-ce le propos artistique qui va révéler une technique appropriée ?
Bien évidemment, il n’y a pas de règle en la matière. Simplement une histoire, une passion, une sensibilité qui va aller au plus juste pour le spectacle en devenir.
En réalité, la question de l’artistique est aussi liée à la question de l’économique. Il est vrai que la spécificité de la marionnette se trouve dans la diversité des formes, dans une grande liberté d’invention, mais elle réside aussi dans sa liberté d’ajustement économique : les spectacles de marionnettes sont souvent autonomes et peuvent être présentés là où beaucoup d’autres spectacles ne rentrent pas.
- La question de l’économique
Elle est liée à l’artistique et aux relations avec l’institution et à l’organisation de la profession.
Mais dans le contexte actuel, il est peut-être temps d’en repenser complètement le mode de fonctionnement et d’organisation.
Un constat partagé à la fois par les compagnies mais aussi par les programmateurs sensibles à la production : les compagnies n’ont pas les moyens d’une politique sur un temps de trois ans – temps habituel des conventions.
Car les questions à poser sont graves :
– Peut-on s’affirmer professionnel lorsqu’on n’a pas tangiblement les moyens de l’être ?
– Peut-on vivre de ce métier et, par voie de conséquence, l’idée de l’intermittence n’est-elle pas un véritable tombeau ?
– La contrainte économique peut-elle être force de libération sur un projet artistique ?
– A-t-on une mentalité « de pauvre » ?
Toujours est-il que l’on demande de plus en plus aux compagnies d’avoir un rapport à l’économie, alors que, pour la majorité des compagnies, ce rapport est intimement lié à la précarité et à la survie.
Alors faut-il faire du « dumping » pour pallier nos difficultés ?
Et faut-il continuer à tricher en ne payant pas les répétitions ou en ne déclarant pas les stages de formation ?
- La question du ou des publics
Difficile d’échapper à cette question dès lors que pour le grand public, la marionnette est encore liée à l’enfance : l’équation marionnettes = enfant reste intacte.
Elle perdure d’ailleurs aussi chez bon nombre de compagnies, soit par choix artistique, soit par choix économique.
Personne n’échappe donc à cette question des publics et des conditions d’accueil :
Que penser par exemple, des séances scolaires ?
Elles favorisent l’accès au plus grand nombre et la première entrée au spectacle vivant. Mais ce sont des représentations souvent difficiles : non-respect des jauges, pas ou peu de respect des artistes. Mais tout dépend de la qualité professionnelle de l’accueillant. Car la mise en place d’un dispositif pédagogique par les structures d’accueil et le monde enseignant permet un déroulement des représentations dans de bonnes conditions.
D’une façon ou d’une autre, les structures d’accueil ont besoin des séances scolaires, pas tant pour des besoins économiques que pour les chiffres qui permettent d’augmenter les statistiques de fréquentation des salles.
La réflexion sur la marionnette pour adulte, sa production et sa diffusion, font l’objet depuis quelques années de rencontres et de réflexions.
La dernière en date est celle que nous avons organisée lors du festival MAR.T.O. (cf. l’article de Bruno Tackels publié dans un des derniers numéros de MANIP).
Beaucoup s’interrogent aussi sur les séances dites « A voir en famille » ou « Tout public » dans les programmations.
- Liée à la question du public : la question de l’action culturelle
Les marionnettistes sont souvent demandés pour animer un stage ou un atelier, en particulier dans le milieu scolaire. La difficulté relève du système lui-même : peu d’heures pour tout faire, depuis la construction jusqu’à la mise en scène.
Ajoutons à cela que ces heures ne sont pas comptées dans le calcul des heures des intermittents…
La tendance est aussi de former des animateurs pour prendre « la place des artistes »… D’où l’importance de la relation partenariale à développer entre l’artiste et l’enseignant.
Qui fait quoi ? Quelle est la place de l’un et de l’autre ?
Que donne, que reçoit chacun dans cette aventure pédagogique ?
Comment faire des animations tout en restant artiste ?
Un animateur n’est-il pas un artiste raté ?
Il faut veiller à ne pas confondre animation – c’est à dire incitation à la créativité – et création tout court. La création est l’œuvre d’un artiste et elle doit être confrontée à un public.
Ensuite, il y a la réalité économique de ces ateliers pour une compagnie : ils sont une part de ses ressources.
Il y a enfin le travail d’inscription dans un territoire. Mais après les années du socio-culturel, la dissociation et la professionnalisation de ces champs distingués, comment le travail d’une compagnie se situe-t-il sur un espace géographique, avec toute la problématique de l’instrumentalisation ?
- Les questions de l’organisation et de la structuration
Comment s’organiser quand on sait à quel point les compagnies sont différentes entre elles :
Il y a les compagnies émergées entrées dans le cercle des programmations des CDN ou des scènes nationales.
Il y a les jeunes compagnies émergeantes, « vivier du théâtre ».
Il y a le « lumpen », prolétariat du théâtre, et l’on sait que le silence et l’absence de solidarité le tuent plus radicalement que n’importe quelle arme.
D’abord faut-il ou ne faut-il pas s’organiser en compagnie ?
« Y a-t-il trop de compagnies ? » se demandait le SYNAVI dans un ouvrage récent.
Est-ce la reconnaissance structurante, sociale et économique qui peut répondre à la question suivante : Suis-je bien dans mon métier et est-ce que je le fais bien ?
On sait qu’à leur sortie de l’école, les élèves de Charleville n’ont plus la préoccupation première de fonder une compagnie.
De fait, il est difficile de gérer une compagnie, surtout quand elle est petite, d’où l’importance de l’arrivée dans une compagnie d’un administrateur, même sans formation spécifique.
Comment alors s’organiser entre compagnies ?
L’histoire nous rappelle les multiples tentatives d’organisation des marionnettistes en régions, par exemple. Nombreuses expériences ont échoué.
Comme si les compagnies étaient en concurrence entre elles. (Et si c’était vrai ?…)
Le collectif est donc important, mais difficile à mettre en place à cause de préoccupations individuelles d’administration, de production et de diffusion.
Cela dit, des expériences de mutualisation des moyens se multiplient aujourd’hui, sous forme de groupements d’entreprises, de coopératives : mais ce sont des mots qui résonnent encore pour certains comme grossiers parce qu’appartenant au monde de l’économie.
Reste l’organisation de la profession au niveau national.
THEMAA est-elle une structure adaptée dans la situation actuelle où l’on est, plus que jamais, préoccupé par la défense de la profession. Est-il plus opportun de se tourner vers une forme syndicale ?
Pourtant, c’est ensemble que nous pouvons et devons construire quelque chose.
Les compagnies sont elles en capacité de se retrouver, au-delà de leurs divergences esthétiques ?
Et y a-t-il encore des militants dans la salle ?
La structuration de la profession peut-elle aussi passer par la création de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les Centres de développement des Arts de la Marionnette ? Un type d’établissements où création, formation et action culturelle seraient organiquement liées.
Un lieu de création adapté à la spécificité de la marionnette avec une configuration architecturale disposant à la fois d’un plateau et d’un espace de fabrication.
Un espace permettant de se rencontrer et de confronter des regards permettant aux équipes artistiques de mieux se nourrir.
C’est enfin la possibilité de partager une structure administrative, technique et financière.
Je ne donne pas là une définition personnelle des CDAM mais de ce qui pourrait en être la base.
Ils sont d’ores et déjà quelques-uns à les expérimenter…
- Les relations avec les institutions.
On sait que les politiques publiques de la culture connaissent aujourd’hui des mutations accélérées. Les conditions de régulation et de concertation des compétences nationales et territoriales sont difficiles et provoquent chez les compagnies une grande perplexité.
Quel respect pouvons-nous encore avoir envers les institutions en général et les collectivités locales en particulier.
Comment considérer les institutions autrement qu’en tant que bailleurs de fonds ? En est-on toujours réduits à demander l’aumône ?
- La question de la diffusion
Cette question est pleine de contradictions.
Pourquoi une compagnie tourne-t-elle ? Pourquoi une autre compagnie ne tourne-t-elle pas ?
Est-ce simplement en fonction du critère artistique ? Est-elle dans le bon réseau ? Est-elle hors réseau ?
Cela dit, on sait aussi que les spectacles de marionnettes auraient tendance à mieux tourner que les spectacles de théâtre d’acteurs.
On voit bien que les compagnies de théâtre d’acteurs conventionnées en régions tournent peu ou pas hors région parce qu’il y a une sorte d’uniformité artistique. Ce qui n’est pas le cas des compagnies de marionnettes conventionnées, justement parce qu’elles ont un univers artistique particulier.
Quelques constats :
– Certains réseaux ont disparu (réseaux de l’éducation populaire, des comités d’entreprises, des MJC).
– Il y a un manque de lieux et d’espaces-vitrines malgré un nombre conséquent de « bons » festivals de marionnette en France.
– Comment rendre les programmateurs moins « frileux » au sujet de la marionnette pour adulte ?
– Les diffuseurs se déplacent peu. Comment leur faire entendre qu’il existe de bons spectacles en dehors des circuits Scènes Nationales ou Scènes conventionnées et qu’un peu de curiosité pourrait leur permettre de sortir des sentiers battus ?
– Certains pensent qu’il existe une situation de monopole de la part des réseaux institutionnels.
Y a-t-il des critères (un formatage ?) pour être admis dans les « bons » réseaux ?
- La question de la formation
Cette question offre deux entrées : se former et former les autres.
Est-ce qu’on est artiste dès lors qu’on a un diplôme ?
Est-ce le diplôme qui fait l’artiste ?
Où se former ?
Il n’est pas possible d’aborder toutes les problématiques, mais l’une d’elles revient de façon récurrente, celle de la formation continue :
Formation à de nouvelles techniques, mais aussi formation continue avec des plasticiens, des musiciens, des vidéastes etc… dans le cadre de laboratoires sans finalité de production.
Formation difficile à organiser car, paradoxalement, la demande émane souvent de ceux qui tournent beaucoup et qui ont donc du mal à trouver la disponibilité.
Certains disent aussi que des créations naissent après des rencontres artistiques durant les stages, ce qui est une belle réponse à cette formation professionnelle.
Autre problème soulevé lors d’une de ces réunions par Lucile Bodson :
ll y a une très grosse demande sur la fabrication et la construction.
Enfin, existe-t-il une formation destinée aux programmateurs ?
- Pour conclure,
en cette année de bicentenaire de la naissance de Guignol :
il y avait sur la Place du Marché et dans la Cour des Miracles les marionnettistes et les arracheurs de dents. Les marionnettistes aidaient à faire passer le mal.
Aujourd’hui, les arracheurs de dents sont devenus des chirurgiens dentistes.
Il faut espérer que les marionnettistes soient encore, et pour très longtemps, dans la Cour des Miracles.