Christophe Blandin-Estournet
A QUAND LA BASTILLE ?
« Etats généraux : Institution créée en 1302 par le roi Philippe le Bel, en réaction contre la bulle (réunis 21 fois en 487 ans). Les derniers, qui furent convoqués en mai 1789 par Louis XVI pour résoudre la crise financière due aux dettes de l’État, furent l’occasion d’une conjuration (le Serment du Jeu de Paume) qui décida d’abolir les institutions de l’Ancien régime et de les remplacer par une constitution écrite, et qui fut le commencement de la Révolution française. L’assemblée des états généraux était composée de députés des différents états provinciaux répartis selon les trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état qui représentaient respectivement les habitants des seigneuries laïques, ecclésiastiques et urbaines de leurs provinces respectives ». (Wikipédia)
Parallèle saisissant ? Hasard des mots ? Action subliminale ? Jusqu’où peut-on pousser le parallèle avec ce que nous vivons ?
Sommes-nous réunis en réaction à une bulle quelconque : celle d’une entité nommé l’Etat ou la profession ou le Ministère ou les programmateurs ? Au quel cas peut-on enfin nommer clairement et simplement les termes de ce contre quoi nous réagirions ?
Devrons-nous attendre près de 500 ans pour, en réaction à une crise financière, voir poindre la conjuration qui mettrait à bas les institutions ? Peut-on décréter a priori du moment d’un événement subversif : de l’abolition des privilèges à la chute d’un mur ?
Enfin, vient la question de l’organisation des forces au combat. Loin du fameux échange entre Staline et Hitler : « le Pape, combien de divisions ? », il conviendra de se compter et de s’organiser. Si j’en crois Patrick Boutigny, qui parlait dans son compte-rendu des rencontres régionales d’une « mentalité de pauvres », je vois où se situent les marionnettistes (le tiers état), mais sans vous raconter ma vie, me voilà soudain frappé de doutes existentiels, où me situe-je donc ? Ma religion me l’interdisant je ne peux pas représenter le clergé et mon engagement idéologique ne m’autorise pas à être le porte-parole de la noblesse.
Mais foin de mes états d’âmes personnels puisque la révolution nous tend les bras, allons enfants !
QUELQUES (BONNES ?)RAISONS
Alors pourquoi diable programmer de la marionnette ? Parce que « la marionnette [nous apparait] comme comble du théâtre…. » (intervention d’Emmanuel Wallon) ? Puisqu’il était question de faire la révolution, poursuivons sur la voie politique :
Et si la marionnette nous permettait de dépasser l’opposition actif-passif ?
Et si les marionnettistes, autrefois utilisés pour nous divertir des arracheurs de dents, étaient devenus nécessaires face à de nouveaux arracheurs de dents, tout aussi violents mais moins évidents, plus virtuels en quelque sorte : la dent de la perte de l’emploi, celle de l’absence de logement, la dent de la non protection sociale, la dent des « sans–papiers » ?
Parce que je crois à une capacité supérieure de l’art à nous dire le monde comme il va, à nous dire les gens comme ils sont, à aiguiser nos regards critiques plutôt que simplement nous distraire de nos douleurs ; je pense que les arts populaires revisités (cirque, marionnette, contes, théâtre forain…) ont un point de vue particulièrement pertinent à nous offrir.
Ainsi les arts du récit interpellent nos fragilités, voire nos incapacités à « se parler », à se rencontrer par le verbe. De même, les arts du cirque illustrent la crise d’un certain nombre de nos valeurs communes : la main tendue, l’être ensemble, la vérité du 360°…
Et la marionnette sous toutes ses déclinaisons (objets, ombres, figurines…) nous offre une réelle capacité de respiration, une humanité redevenue possible. Elle nous autorise l’imperfection : une projection marionnettique, comme une résistance sensible aux images sans cesse assenées de la perfection arrêtée. Car comme le dit Michel Serres dans ses réflexions sur le sport : l’important c’est la défaite, celle qui nous confronte à notre propre finitude. Curieux paradoxe d’un monde prétendument en mouvement, mais que l’on nous (im)pose comme fini, au risque de la dérive fascisante de l’uniformité.
Dans une société où l’on est passé du tangible au phénomène, de la possession à l’usage … peut-on imaginer être dans l’écoute plutôt que dans la conversation, pour construire avec les gens (quitte à faire la révolution !).
Tiens à propos des gens, silence assourdissant sur la question du public lors de notre première journée, au point que le mot ne fut prononcé que rarement (deux fois ?), et encore par défaut. Mais camarades, tant qu’à faire la révolution, pourquoi ne pas en parler au peuple, car il est grand temps refonder le contrat avec notre public comme le disait récemment Ariane Mnouchkine en appelant à « signer une charte entre les citoyens et les artistes » (rencontre du 27 février 2008 à l’Odéon).
Tiens, pendant que nous parlons des absents d’hier : pas un mot sur les autres, l’ailleurs… la dimension internationale de problématiques qui se posent à vous, à nous. Et tout ça, à Strasbourg : un comble, dans la capitale française de l’Europe. ! Mais peut-on sérieusement imaginer traiter aujourd’hui une question de politique culturelle, au simple niveau national ? Il a fallu attendre le second jour de notre rencontre, pour s’attacher à cette dimension internationale avec la passionnante intervention d’Anne Marie Autissier, mais nulle trace ailleurs quant à cette nécessité de travailler au minimum à l’échelle européenne tous projet et/ou revendications
AVATAR : ENTRE VIRTUEL ET ALTERITE
Dans le langage courant, l’avatar est devenu une transformation, un changement. Et par abus de langage, ce qui était à l’origine l’incarnation d’un dieu sur Terre (hindouiste), signifie dorénavant un événement fâcheux. En serait-il de même avec la marionnette et son origine de la petite Marie, d’une référence divine, serait-elle devenue un événement fâcheux ?
Par ailleurs ce mot est revenu à la mode grâce à l’informatique : dans les jeux vidéo, un avatar est un personnage représentant un utilisateur. L’avatar peut se réduire à un portrait, comme sur un forum ou dans une messagerie instantanée, ou encore être un véritable acteur interactif, contrôlé par l’utilisateur, comme dans les jeux vidéo. Alors la marionnette comme ultime avatar ?
Les réseaux sociaux et les blogs ont provoqué la prolifération des données personnelles sur le Web. Désormais, chaque utilisateur gère une véritable identité numérique constituée de ses contributions. Facebook est exemplaire de ce point de vue. Ce réseau peut certes favoriser, voire créer des interactions sociales, mais au prix d’un exhibitionnisme « qui révèle plus un amour de soi qu’un goût pour les autres » comme l’écrit Olivier Cohen de Timary, critique à nonfiction.fr.
L’utilisation du monde virtuel, développement de l’internet offre de plus en plus de possibilités pour les particuliers, la marionnette comme art d’une création distanciée m’apparait comme une réponse sensible (et sensée) à cette dérive des personnalités numériques, entités virtuelles parfaites et complètement narcissiques, car auto définies (cf. la question de la perfection telle que nous l’avons abordée précédemment).
Ces dérives narcissiques nous retournent forcément la question de l’altérité : ce « ce qui est autre » éveille notre conscience de la relation aux autres, en tant qu’ils sont différents (et doivent être reconnus dans leur droit d’être eux-mêmes et différents !). La marionnette, illustration de l’altérité témoigne d’une compréhension de la particularité de chacun, hors normalisation. Béatrice Picon Vallin ne disait pas autre chose quand elle parlait du » travail de l’acteur [qui] est de dépasser son ego… de la distanciation « brechtienne » [qui] est en réalité l’étrangérisation, la défamiliarisation »
FRAGMENTATION
« Notre monde se déchire se divise… il est en état d’urgence » déclarait en ouverture le président d’honneur des Saisons de la Marionnette, Jacques Nichet. Force est de constater que nous sommes aujourd’hui dans une société de la fragmentation. Fragmentations multiples et répétées, celles :
– du temps (rares sont devenues les personnes n’ayant connu qu’une seule activité ou qu’un seul employeur, lors de leur vie professionnelle…),
– de l’espace (peu de gens naissent, vivent et meurent au même endroit…)
– de la famille (multiplication des familles recomposées ou monoparentales…)
– de l’appartenance (les modes de communications et de transports actuels permettent aux immigrés de vivre pleinement ici, tout en restant en prise réelle avec leur pays d’origine),
– la technologie (amorcée dès l’origine du capitalisme, le cloisonnement des technologies atteint un point d’orgue(?) autant pour des raisons d’efficacité et de performance que par approfondissements des spécialités) …
…….. d’où la nécessité de la recomposition et du lien
De ce point de vue, seuls l’art et la philosophie permettent encore une lecture globale du monde au sens des humanités. Et la marionnette y prend toute sa place en nous proposant cette lecture singulière du monde par son art de la recomposition, du détournement, forme géniale de la bidouille…
Pour avoir commencé par des remarques d’organisation avec les états généraux, je conclurai de même, en vous livrant quelques interrogations et remarques :
– Quel est le périmètre de la « profession » et donc qui en sont ses représentants ?
– Quelle est la capacité de ce secteur artistique à dépasser sa propre plainte pour (im)poser un dialogue avec ses partenaires ?
– Comment penser un acte fondateur militant, quand il manque toute une partie du tiers état / de la profession signe de sa diversité et de sa richesse (Turak, Opus, Là où Théâtre, Royal de Luxe….) ; sans parler de la faiblesse de la représentation des représentants du clergé et de la noblesse (programmateurs, élus, public) ?
– En termes d’organisation professionnelle et donc de projection collective, comment éviter la confusion des genres et des niveaux : CDAM, chambre des métiers, syndicats, associations professionnelles… ?
Enfin m’attachant aux sens des sigles je proposerai de poursuivre l’évolution qui nous a mené du RAM à CDAM, je prophétiserai que la FAME (Fédération Arts de la Marionnette Européenne) est l’avenir de l’Omni !