Claire Heggen
Parole Vive – Claire Heggen – Themaa – Strasbourg 2008-05-15
Tout d’abord, je voudrais exprimer mon estime et mon admiration pour le travail opiniâtre que les marionnettistes ont accompli pour aboutir aux états généraux de la Marionnette aujourd’hui.
En ce sens, cette démarche me paraît exemplaire pour les Arts du Mime et du geste dont je fais partie. Je parle des « Arts du Mime » pour me démarquer de l’image unique du Mime qui est véhiculée partout et qui oblitère les productions et les recherches contemporaines en la matière.
Je viens donc d’un domaine artistique différent de celui de la marionnette.
« Le Théâtre du Mouvement » que je co-dirige avec Yves Marc est une compagnie de recherche, de création, de diffusion et de formation. Nous travaillons dans l’utopie d’un art d’acteur corporel et dramatique, producteur d’un théâtre non psychologique et d’une théâtralité, capable de dialoguer avec les autres arts de la scène (texte, objet, musique, voix, marionnette…), ce qui a permis dans les années 90 de développer un processus de rencontres et d’échanges autour du corps de l’acteur, en général, et les Arts du Mime et du geste en particulier, dans le cadre d’un réseau européen intitulé « les Transversales » (constituant un itinéraire culturel du Conseil de l’Europe).
Voisins – Cousins
En travaillant à l’ESNAM (depuis 1988), j’ai pu constater très tôt un certain cousinage entre les Arts de la Marionnette et les Arts du Mime et du geste.
Tout d’abord, un cousinage esthétique dû au non réalisme, à la relation, à la contrainte, à la formalisation, l’articulation, le jeu métaphorique.
Ensuite, une parenté d’images et de récits où la mise en intrigue et la dramatisation se font à partir de l’image ; et, de semblables processus d’écriture, de scénario, de dramaturgie (pour les formes non textuelles a priori).
Enfin, une référence historique commune en la personne de E.G. Craig et de ses écrits sur la sur-marionnette comme acteur idéal. E.Decroux tente d’en relever le défi par l’élaboration du mime corporel : « Si la marionnette est au moins l’image de l’acteur idéal, il faut donc essayer d’acquérir les vertus de la marionnette idéale. » Il dira aussi de l’acteur qu’il « doit montrer son art sans montrer sa personne ». N’est-ce point déjà là une définition applicable à l’Art de la marionnette et des marionnettistes ?
Un questionnement
La fréquentation du monde de la marionnette (spectacles, professeurs et étudiants de l’ESNAM) a retenti sur mon travail artistique bien évidemment et provoqué des interrogations fertiles.
Parmi celles-ci, et non des moindres, la mise en question réciproque générée par l’introduction d’une pratique d’acteur gestuel dans le maniement de la marionnette ; retour sur ma propre pratique artistique ; d’un regard sur la pratique marionnettique et les problématiques émergentes du moment ; donc, d’une recherche spécifique transversale entre les fondamentaux des deux pratiques.
Voici de manière ni exhaustive ni chronologique ce que j’ai été amenée à faire :
* Préciser cette notion d’acteur à la fois « sujet et objet d’art », ses variantes intermédiaires débouchant sur des implications théoriques, spectaculaires et pédagogiques.
Qu’est-ce qu’un corps réel ?
Comment donner un effet de réel ?
À partir de quel moment peut-on parler de corps fictif ? (corps réel imaginé, métaphorique)
Comment objectiver un corps (par sa gestuelle, le costume…) sans le chosifier ?
*Re-visiter ma boîte à outils : avec pour visée d’y puiser les éléments (techniques, conceptuels, terminologiques et grammaticaux) à mettre au service de l’objet et de la marionnette.
* Aiguiser mon regard et prendre le « parti des choses »
Qu’est-ce qu’on regarde ? Comment ça marche ? Je me suis exercée à déplacer mon regard (jusque-là focalisé sur le corps de l’acteur) vers l’objet. J’ai chaussé des lunettes à double foyer en quelque sorte, pour mieux voir les relations réciproques.
* Chercher les principes de fonctionnement et de service de l’image qui « guident » le regard du spectateur vers l’objet, l’acteur marionnettistes ou la relation des deux à tout moment.
L’acteur devenant un « maître du regard » comme dans le théâtre Nô.
* « Faire la part des choses » en distinguant la chose de l’accessoire, et l’objet de l’objet d’art.
* Poser « la relation », l’entre deux, au coeur du débat et en rechercher les variantes potentielles dans une triangulation avec le spectateur.
* Tirer des leçons de l’exil momentané du castelet.
Premièrement, trouver l’organisation et la mise en forme du corps en fonction du type de marionnette lors de la manipulation à vue (par-dessous, dessus, derrière…)
Deuxièmement, le castelet disparu, il réapparaît dans une scénographie mouvante constituée par le corps (« corps castelet » pour A.Recoing, E.Decroux le nommait « géographie physique »). Par conséquent, quelle (s) mise (s) en jeu du corps opérer, pour créer ces métaphores de théâtre et y incorporer la marionnette ? Comment inventer des modes d’apparition renouvelés de la marionnette et des modes d’énonciation de l’acteur-marionnettiste plus variés ?
* Etc…
Pour conclure
Je voudrais simplement dire, qu’à la croisée du corps et de l’objet, à cet endroit même de rencontre où une transversalité peut s’opérer, j’ai constaté que de nouvelles pistes se sont ouvertes pour l’acteur, l’objet, le spectateur, le dramaturge et plus largement pour le jeu des relations sociales.
L’objet m’est apparue comme une chance pour le corps de prendre conscience de ce qui le contraint et l’affecte. Il lui permet de développer de nouvelles capacités de perception et de sortir des chemins battus du mouvement usuel, du corps unique et de ses chemins corporels habituels. Il favorise de nouveaux modes de relation avec le public. Il lui offre d’apparaître comme lieu de résistance à sa disparition dans le lieu même de l’effacement (surtout en cette époque de disparition des corps qu’ils soient réels ou virtuels) et de manifester contre sa dématérialisation.
De même et à l’inverse, le corps me semble une opportunité pour l’objet d’un détournement de sa fonctionnalité et d’ouverture d’univers imaginaires supplémentaires. Il renouvelle la poésie de la relation et ouvre un lieu de discussion, de dialogue, de confrontation jusqu’à la contradiction.
La relation des deux, offre à l’acteur et au spectateur, un lieu de mise en question de la représentation théâtrale où ils peuvent se situer entre sujet et objet dans la relation. Elle les conduit à préciser leur identité dans cet espace de l’entre deux.
Espace qui est pour l’individu en train de se « faire », un lieu métaphorique des transactions interindividuelles. Cette relation constitue une invitation « à être », à « devenir », par la mise en question d’autrui. Elle engage à transiter, à « être vers », à « passer par » pour se dépasser et aller au-delà de ce qui est. Elle nous convie à une poétique du sensible où mouvement, moment et émotion font l’évènement et l’avènement d’un autre temps.
Ont été diffusés durant la « Parole Vive »
– Un extrait vidéo de « Tezirzek » du Théâtre du Mouvement
– Un extrait vidéo de « L’usine » d’E. Decroux.