Travaux de la commission
Anciens, les arts de la marionnette sont riches d’histoire. Ces dernières années, une effervescence de propositions artistiques et culturelles s’observe dans ce secteur. Les arts de la marionnette apparaissent comme majeurs, capables de renouveler le spectacle vivant grâce à leur caractère innovant et protéiforme. Les passerelles entre les disciplines sont de plus en plus nombreuses. Des auteurs écrivent délibérément pour la marionnette, des metteurs en scène de théâtre et des chorégraphes de renom recourent aux multiples facettes de cet art, sans oublier le cirque contemporain qui trouve avec les arts de la marionnette de nouveaux terrains d’exploration. Aujourd’hui, des structures nationales programment régulièrement des spectacles de marionnettes. La presse s’en fait l’écho. L’engouement des publics se confirme.
Pour autant, les arts de la marionnette souffrent toujours d’une méconnaissance et d’un manque de re-connaissance. Aujourd’hui, l’enjeu est d’asseoir et de légitimer leur existence dans des formes et des techniques variées. Parfois très éloignés des traditions, les arts de la manipulation intègrent les esthétiques contemporaines, voire prennent une part active à l’écriture de celles-ci.
« [L’art de la marionnette aujourd’hui] me fait penser à ce qu’a pu être la nouvelle vague au cinéma, il y a quarante ans ; à la danse, il y a vingt ans ; au cirque, il y a dix ans. C’est la forme artistique qui probablement est la plus en adéquation avec le monde d’aujourd’hui. Elle n’est pas exclusive, parce qu’elle porte en elle un potentiel de métissage technique et artistique. » (Christophe Blandin-Estournet, 2001).
Alors que les arts de la marionnette semblent s’affirmer comme tels et avoir un véritable impact sur la création actuelle, les moyens pour leur développement demeurent insuffisants. Ils ont aujourd’hui plus que jamais besoin de soutiens institutionnels forts et de nouveaux outils.
C’est pourquoi le projet des Saisons de la marionnette 2007/2010 est indispensable à ce moment charnière.
Le groupe Profession(S) regroupe différents professionnels, artistes marionnettistes, directeurs d’établissements culturels, chargés de mission à la programmation de festivals, etc. Il s’est réuni 12 fois depuis janvier 2007.
Le groupe s’est attaché à définir les professions concernées par les arts de la marionnette aujourd’hui, en considérant à la fois les différents métiers artistiques et les métiers qui gravitent autour, c’est à dire : ceux qui créent, ceux qui fabriquent, ceux qui jouent, ceux qui regardent, ceux qui ont un oeil critique, qui produisent, qui diffusent. Il s’est, par ailleurs, attardé sur les fonctionnements des réseaux.
Avant toute autre considération, le groupe s’est attaché à parler d’Art et non d’artisanat.
Les caractéristiques de ces professions ont été identifiées afin de dégager des problématiques essentielles à considérer. Au plan méthodologique, les réflexions et études existantes servent d’appui. Des axes de travail ont été engagés pour les trois années à venir, dans l’objectif de contribuer à l’amélioration des conditions de travail des artistes et d’accroître le rayonnement des arts de la marionnette auprès des publics comme des professionnels du secteur culturel.
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Contexte
Une entrée problématique dans la profession et des fins de carrière précaires :
– L’essaimage des petites compagnies ne serait-elle induite que par une question économique ? Est-ce la marque d’une insuffisante maturité ou un manque d’information à la sortie de la formation initiale ?
– Les réseaux d’éducation populaire, qui maintenaient un lien social, disparaissent du champ culturel. Ils facilitaient l’insertion professionnelle par l’organisation de tournées dans des circuits non institutionnels.
– L’absence de lieux spécifiques dans ce secteur pour expérimenter et se rencontrer n’est-il pas un facteur aggravant ?
– La question de la fin de carrière se pose aujourd’hui pour des marionnettistes qui ont contribué au renouveau et à la revitalisation des arts de la marionnette et pour lesquelles aucun dispositif n’a été envisagé. Les danseurs sont les seuls pour qui la question de la dé-professionalisation a véritablement été posée.
> Comment concilier l’engagement professionnel et l’économie précaire des arts du spectacle et en particulier de la marionnette compte tenu de ses spécificités ?
Une situation fragile :
Des statuts inadaptés :
– Aujourd’hui, la création d’une structure juridique semble être une condition sine qua non pour les artistes dont le projet est la création d’un spectacle. Existe t-il d’autres alternatives?
– Le secteur des arts de la marionnette fonctionne à l’économie. Il existe une forme d’autocensure due à des contraintes de jauge, de budgets contraints. Les créations de grande ampleur sont trop rares ou difficilement menées à terme.
– Pour des raisons économiques également, les compagnies se limitent souvent à une ou deux personnes. Il est difficile de rassembler une équipe conséquente autour d’un projet artistique sur une longue période.
> Comment parvenir à réunir et faire vivre une équipe conséquente autour d’un projet artistique ?
Où trouver les moyens financiers de créer pour de grands plateaux ? Aujourd’hui, les compagnies ont-elles les moyens de prendre des risques, de rêver ?
Une production peu structurée :
– Il manque des outils qui répondent aux singularités des modes de production des arts de la marionnette. La dimension de construction, de fabrication y sont déterminantes.
– Comme toute discipline artistique, les arts de la marionnette nécessitent un engagement conséquent et durable des institutions.
> Comment prendre en compte les spécificités des processus de création des spectacles de marionnette : temps de construction, temps d’élaboration, temps d’occupation des lieux, temps de rencontres avec d’autres formes et d’autres esthétiques ?
Les besoins d’accompagnement et d’encadrement :
Comment un travail artistique s’accompagne-t-il ?
– L’accompagnement est un facteur de professionnalisation et constitue un métier à part entière qui se mène sur la durée. La question du temps est en effet essentielle dans le processus de création : Créer un spectacle pendant plusieurs années est-il un luxe inabordable ?
– Les bureaux de production peuvent permettre aux compagnies de construire leurs projets bien en amont : la nécessité d’impulser la création de bureaux de production travaillant de manière spécifique, en parfaite adéquation avec chaque projet, devient impérative.
– Les nouvelles manières d’envisager la création artistique, comme l’attention portée à l’économie solidaire et à la mutualisation des moyens, ne doivent pas occulter la question essentielle des financements.
> Comment multiplier les formes d’accompagnement : artistique, économique, administratif ?
Comment accompagner les propositions artistiques atypiques et innovantes ?
Une diffusion chaotique :
Au regard des chiffres publiés dans « Mesure pour Mesure » (n°12 édité par la DMDTS en Mai 2005), il apparaît que le théâtre de marionnette est bien présent dans les programmations des structures nationales et théâtres municipaux. Toutefois :
– La majorité des représentations s’adresse à un jeune public.
– Le nombre de représentations pour les spectacles s’adressant exclusivement aux adultes est très faible.
– Quelques compagnies seulement sont régulièrement représentées.
Par ailleurs :
– L’engagement des collectivités territoriales est un facteur déterminant. Par exemple, le Conseil Général des Hauts-de-Seine a impulsé la présence de spectacles de marionnettes s’adressant à un public adulte dans les programmations des établissements culturels du département, par un financement partiel des représentations. Par la suite, des directeurs de théâtres ont su tirer le bilan de cette expérience et se sont associés pour créer le festival Mar.T.O.
– Le théâtre de marionnettes est mieux diffusé quand il explore le champ de l’image ; lorsqu’il s’attaque aux textes de théâtre, les compagnies rencontrent des difficultés à pénétrer les réseaux de diffusion.
Les festivals spécialisés marionnette ou autres ont une place prépondérante dans la diffusion des spectacles de marionnette. Quels sont leurs enjeux ?
– Motiver les professionnels : en effet ces festivals génèrent des rencontres et favorisent les confrontations de pratiques et d’esthétiques différentes. C’est un moyen pour les compagnies de faire connaître leur travail.
– Se positionner comme un marché du spectacle, mais cette course à la création pour attirer les programmateurs ne se fait-elle pas au dépens du public ? de l’attention portée aux artistes ? de la question de la durée de vie des spectacles ?
– Affirmer des formes artistiques à part entière dans leur diversité esthétique.
– Mener une action militante (politique, artistique, sociale, etc). Affirmer une identité forte, liée notamment au territoire dans lequel le festival est implanté et la période à laquelle il se déroule.
– Laisser la place à une programmation « off » ? Quel qu’en soit le véritable enjeu, tremplin pour des artistes débutants ou raisons économiques, elle ne doit pas occulter les questions de déontologie, d’éthique et de législation.
> Comment favoriser l’accueil de spectacles de marionnette dans les programmations généralistes ?
Comment ne pas résoudre l’art de la marionnette à des formes festivalières, sans pour autant en négliger le rôle important ?
Le rapport aux publics :
– À l’encontre de ce qui se constate pour le théâtre, le public du théâtre de marionnettes est jeune et curieux.
– Il existe une vraie attirance pour cette forme artistique contemporaine, envisagée comme une forme plus ludique que le théâtre. Sa capacité à explorer le renouvellement des formes est moteur.
– Par leur fidélité, les publics font évoluer leurs goûts et leur regard sur les arts de la marionnette. Aujourd’hui les adultes n’ont plus besoin de l’alibi des enfants pour assister à des spectacles de marionnette. L’attrait des spectateurs doit être soutenu et développé par un engagement institutionnel.
> Comment favoriser le rapport sensible du public et des programmateurs aux formes contemporaines ?
L’enfance : « Ne pas faire silence sur l’enfance pour éviter de la subir » Pierre Blaise
– La création jeune public a souvent servi de tremplin et a montré ses lettres de noblesse en s’aventurant sur de véritables terrains d’innovations artistiques.
– Elle est extrêmement productive. Elle peut être envisagée comme un marché économique, phénomène comparable à celui de la littérature jeunesse. Il reste important de promouvoir la création jeune public de qualité, afin de dépasser les clichés liés à la marionnette traditionnelle.
– Que signifie la formule « tout public » ? Est-ce une façon d’évacuer la notion de « jeune public » ?
Le terme « jeune spectateur » ne déplacerait-il pas la question de l’âge vers celle de nouveau public.
> Comment valoriser la création jeune public de qualité ?
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Propositions
Dans le cadre de la préfiguration des Saisons de la marionnette 2007/2010, le groupe Profession(S) centre sa réflexion sur la mise en visibilité pour une meilleure connaissance et donc une reconnaissance des arts de la marionnette dans leur diversité et leur caractère contemporain.
Qui permettront :
• de mieux appréhender les arts de la marionnette dans leur globalité et leur spécificité
• de mieux structurer la profession pour notamment favoriser la création et la diffusion
Son action porte sur plusieurs propositions concrètes orientées vers :
• une réflexion multipolaire sur l’aspect artistique
• une réflexion plus technique pour, en particulier, faciliter l’accès aux partenaires potentiels
Les objectifs sont de plusieurs ordres :
• développer un large réseau de diffuseurs, producteurs, partenaires publics, etc
• améliorer les conditions de travail des équipes artistiques.
Un élan politique doit émerger au côté de cette mobilisation professionnelle.
1. Alimenter la réflexion
¥ Mise en place de tables rondes en présence des organismes professionnels et partenaires publics (CNT, ONDA, CULTURESFRANCE, SACD, Syndicats, Collectivités territoriales…) afin de cerner les difficultés et de les dépasser.
¥ Les Points de vue
Le groupe de travail Profession(S) a mis en place des rencontres qui engagent une confrontation entre l’univers de la marionnette – forme majeure du spectacle vivant – et d’autres formes de pensée. Des personnalités n’ayant à priori pas de lien avec les arts de la marionnette y sont sollicitées. Des rendez-vous publics permettront à chacune d’exposer leur point de vue et d’alimenter la pensée collective sur le secteur.
Le regard d’un sociologue, d’un peintre, d’un philosophe, d’un scientifique, d’un sculpteur ou encore d’un musicien, sur les arts de la marionnette tels qu’ils se déclinent aujourd’hui permettra une remise en cause ou du moins apportera des éléments de réflexion sans aucun doute nouveaux.
Ce projet s’articule en deux temps :
_ le temps de la préparation : l’accompagnement des intervenants est primordial pour la pertinence de cette action ; ils seront conviés à voir des spectacles durant les mois qui précèdent leur communication .
_ le temps des « rendez-vous » : un moment de transmission lors d’une conférence ou d’un débat, fruit du travail de réflexion de chaque personne invitée. Chacune de ces rencontres se déroulera dans un lieu différent ou à l’occasion d’un festival. Ils se répartiront ainsi sur l’ensemble du territoire.
Le groupe de travail Profession(S) coordonne la mise en œuvre de ces Points de vue : choix des intervenants et des dates de rendez-vous pour chaque lieu participant à l’événement. La préoccupation première dans l’élaboration du programme a été d’établir une géographie et un calendrier cohérents pour ces Points de vue. En amont, les intervenants sont invités à voir des spectacles, et ce depuis l’hiver 2007. Une ou plusieurs rencontres, entre les intervenants, pourront avoir lieu sur la période impartie.
Le premier rendez-vous s’est déroulé dans le cadre des Scènes ouvertes à l’insolite, festival organisé par le Théâtre de la Marionnette à Paris au Théâtre de la Cité internationale : avec Octave Debary, anthropologue.
Un premier document est disponible, qui présente le projet et regroupe l’ensemble des rendez-vous, tissant ainsi un fil conducteur entre ces différents moments de rencontre.
Un autre suivra, apportant plus de précisions quant aux prochaines dates.
La réflexion multipolaire engagée lors de ces rencontres pourrait trouver son aboutissement dans la publication des actes des Points de vue, en 2010.
2. Proposer un temps fort d’expression en faveur des arts de la marionnette contemporaine et arts associés, pour une large visibilité sur l’ensemble du territoire
Ce temps fort, intitulé TAM TAM – Les dessous de la Marionnette, se déroulera
du 14 au 18 octobre 2009.
Ce temps fort de mobilisation constitue un des maillons du dispositif global des Saisons de la Marionnette 2007/2010. Tous les acteurs culturels de l’ensemble du territoire national sont invités à y participer.
L’événement sera porté par des structures nationales – beaucoup d’entre elles ayant d’ores et déjà annoncé leur participation – et se précisera au fur et à mesure des propositions des lieux participants : diffusion de spectacles, tournées en région, ateliers, stages, coproductions, rencontres, etc.
Une organisation en Régions se met progressivement en place. Des relais ont commencé un travail de communication approfondi auprès des opérateurs culturels, des compagnies, des institutions, et permettent de relayer les informations.
Pour un tel événement, il est essentiel de travailler sur les territoires et de se rapprocher des collectivités publiques.
Certaines institutions sont d’ores et déjà disposées à accompagner et financer les actions développées dans le cadre des Saisons de la marionnette 2007/2010, telles les Régions Champagne-Ardenne, Centre, Basse-Normandie.
L’objectif de TAM TAM – Les dessous de la Marionnette n’est pas d’opérer une simple action de diffusion, mais d’inscrire les bases d’une réelle politique en faveur des arts de la marionnette. Ce temps fort fédérateur pourra en effet stimuler l’engagement de toute structure culturelle et des collectivités territoriales à s’engager plus largement en faveur des arts de la marionnette.
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Réflexions et propositions pour la mise en place des CDAM
Les CDAM seraient des outils de création et de production, mais non de nouveaux lieux de diffusion. Il est nécessaire de réfléchir dès maintenant à la manière dont ils s’impliqueraient dans les réseaux de diffusion.
Ces lieux sont incontournables pour une meilleure re-connaissance des arts de la marionnette, il faut inventer quelque chose de souple et d’ouvert pour que différents types d’implantation soient possible. Garder une souplesse dans l’établissement du cahier des charges, pour qu’un « petit lieu » puisse se retrouver. Le « label » CDAM serait ainsi attribué à des lieux spécialisés préexistants ou à créer, mais à géométrie variable. La diversité est essentielle, elle garantit une complémentarité.
Qui porterait les CDAM ? Un artiste ? Une compagnie ? Un collectif d’artistes ? Un programmateur associé à un ou des artiste(s) ? Associer des artistes au projet du lieu est en effet primordial, afin que chaque CDAM détienne une identité artistique propre et de favoriser les échanges. Il faut imaginer ces lieux à l’image des spécificités des arts de la marionnette.
Les CDAM se constitueront :
– d’un lieu de répétition et de résidence, pour la recherche artistique,
– d’un atelier de fabrication,
– d’un lieu de vie et de rencontres,
– d’espace de bureaux pour le montage de projets.
Les équipements devront être adaptés aux nécessités des différentes techniques de la création marionnettique.
La conception architecturale des CDAM doit également prendre en compte les rapports spécifiques aux publics ainsi que les variations d’échelles entre un spectacle de gaine chinoise et des productions monumentales par exemple.
En définitive :
Les CDAM sont souhaités comme des lieux de partage artistique, d’accompagnement et de soutien des artistes dans leur parcours professionnel. Cette réflexion doit se faire avec les collectivités territoriales, afin que naissent des lieux véritablement solides et soutenus pour être en mesure d’atteindre leurs missions.
Il convient :
– de réfléchir au maillage pour une répartition géographique cohérente sur le territoire national.
– de rédiger une charte des CDAM, qui pourrait servir à l’élaboration de leur cahier des charges.
– d’être vigilant afin de ne pas créer un dispositif qui s’avèrerait verrouillé.
– de ne pas uniformiser les manières de travailler, de ne pas gommer les spécificités. Comment seront-elles prises en compte ?